Lorsque l’on se penche sur la vision militaire de Jean-Jacques Dessalines, une approche militaire semble se dessiner en filigrane. Il s’agit de la place prépondérante accordée à l’intérieur des terres. Dessalines semble à la fois refuser la guerre sur les côtes et la guerre en mer. Argumentons.
Durant la période coloniale, du fait que la production était tournée vers l’extérieur, les plus villes les plus importantes, comme le Cap-Français (actuel Cap-Haïtien), se trouvaient sur les côtes. Si cette position offrait de nombreux avantages sur le plan économique et commercial, elle offrait de nombreux désavantages sur le plan militaire. Certes, il existait déjà de nombreux forts construits sur les côtes comme le Fort Picolet (Cap-Haïtien) construit par les Français ou encore le Fort Saint-Louis (Saint-Louis du Sud). Dessalines aurait pu continuer à construire sur les côtes en vue d’empêcher les potentiels débarquements. Cependant cette stratégie offrait un inconvénient majeur : le littoral est tout bonnement impossible à couvrir. Long de plus de 1.771 km, composé de plages, de falaises, de baies, de presqu'îles, etc., très escarpée, la côte haïtienne se révèle difficile à défendre. Axée la défense du pays sur la fortification des côtes aurait été très compliquée et surtout inefficace. D’ailleurs, la présence de fortification sur les côtes n’a empêché ni aux Anglais de ravager les villes côtières de Saint-Domingue facilement et à plusieurs reprises ni à l’expédition française de débarquer.
Concernant la guerre en mer, Haïti ne disposait pas d’une marine capable de rivaliser avec les marines européennes. Car, il est important de le souligner, construire une marine ce n’est pas simplement constituer une flotte de navires, une marine c’est également et surtout une formation militaire spécifique. Haïti disposait de quelques marins et de quelques navires de guerre mais pas d’école de marine. Certes, dans la première forme que prit l'État haïtien, à savoir l’Empire, il fut créé le Ministère de la Guerre et de la Marine, lequel était responsable de l'armée de terres et de mers. Mais, il faut bien le reconnaître, la marine haïtienne ne pouvait, en cas d’attaque, constituer une défense suffisante pour repousser l’assaillant.
Ces deux réalités prises en compte, il est aisé de comprendre le choix de Dessalines de privilégier la guerre à l’intérieur des terres. Par guerre d’intérieur, il faut comprendre la volonté de se battre en mettant à profit le relief géographique propre à Haïti. Haïti dispose d’un relief assez particulier. Elle est composée de vastes plaines parsemées de montagnes plus ou moins hautes. A cela, il faut ajouter la flore sauvage qui recouvre tout le pays. Durant toute la période coloniale, ce relief particulier fut mis à profit dans les différents mouvements de résistance anticoloniale. Henri, le dernier des caciques, résista 13 ans aux troupes espagnols, caché dans les montagnes du Bahoruco. Les chefs marrons, utilisèrent les espaces boisés comme quartier général d’où ils pouvaient lancer des razzias sur les plantations et les demeures environnantes. Après la déportation de Toussaint, ce sont les chefs de bandes qui, cachés dans les bois, ont continué la lutte contre les troupes françaises alors que les anciens officiers de Toussaint comme Dessalines ou Christophe avaient déjà rejoint le camp français.
Dessalines a passé la majeure partie de sa carrière, si ce n’est toute sa carrière, dans une armée que l’on pourrait qualifier de conventionnelle. Mais, à plusieurs reprises, il eut à faire face à des chefs de bande. Sans nulle doute, il avait observé comment les affrontements dans les bois rendaient difficile la progression d’une armée conventionnelle. Chaque arbre, chaque buisson, pouvait servir de cachettes. La supériorité d’une armée, qu’elle soit technique ou numérique, peut difficilement vaincre les bandes armées cachées dans les bois. La preuve, l’expédition française, malgré sa supériorité militaire et technique, malgré l’aide apportée par les chefs créoles comme Dessalines ou Christophe, n’est jamais parvenue à vaincre les bandes armées de Lamour Dérance ou de Petit-Noël Prieur.
La guerre à l’intérieur des terres offre des avantages considérables en cas d’attaque. Elle obligerait l’ennemi à se battre sur un terrain non conventionnel sur lequel ses avantages techniques et sa supériorité militaire sont contrebalancés par la difficulté et la méconnaissance des lieux. D’autant plus que la fortification en hauteur permet justement de se battre à l'intérieur des terres. En effet, en se battant au pied des mornes et à l’abri de fortifications munies d’artillerie lourde, l’armée haïtienne bénéficie d’un avantage militaire non négligeable sur n’importe quelle armée ennemie.
Choisir de se battre à l’intérieur des terres représente un choix d’une grande lucidité. Ce choix rend la prise du pays quasiment impossible par n’importe quelle armée.