Mort de Jean-Baptiste Riché et élection de Faustin Soulouque
Tiré la partie officielle du #37 du journal officiel Le Moniteur Haïtien, 6 mars 1847.
Reproduit à l’identique.
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Il n’a pas été donné au Président J. B. Riché de vivre jusqu’au jour de la première anniversaire de son avènement à la présidence d’Haïti ; il ne fallait que deux jours pour accomplir cette glorieuse année durant laquelle l’illustre Président a comblé son pays de si grands bienfaits, il ne les a point atteints.
Le vingt sept février, à 7 heures ½ du matin, sans qu’aucun symptôme alarmant ne laissat presentir un semblable évènement, le Président J. B. Riché a terminé, au service du pays, une existence toute entière au pays. Il lui a légué la paix, l’ordre, la tranquillité, les institutions si longtemps oubliées ; aucun gouvernement n’eut des droits aussi mérités à la reconnaissance nationale.
Le conseil des secrétaires d’état, investit de l’autorité exécutive, a ordonné que le canon de deuil se fit entendre dans toute la République, se reposant avec énergie sur la puissance des institutions que le Président a doté au pays, pour le maintien de l’ordre et des garanties sociales.
Les appartements du Palais National on été tendus de noir. Le 28, à 4 heures de l’après-midi, le corps du Président, revêtu de ses insignes militaires et maçonniques, précédé du clergé, a été transporté au milieu du cortège de son état-major, des officiers généraux, des secrétaires d’état et de quelques fonctionnaires publics, de la chambre où il est décédé, sur un lit de parade pompeusement préparé pour recevoir ses restes.
Le corps du Président, exposé jusqu’au lendemain matin, a été constamment entouré d’une foule nombreuse sur les traits de laquelle était empreinte la plus profonde tristesse.
Le 1er mars, au matin, le sénat, convoqué par son comité permanent pour procéder à l’élection d’un nouveau Président, était en majorité par la prompte réunion aux 14 membres présents en la capitale, des senateurs Marion, de Léogâne ; Joseph François, de Jacmel ; A. Jean Simon, de Miragoâne ; Lapointe et Paul, de St. Marc ; Gaudin, des Gonaïves ; ces trois derniers arrivant en la capitale par le vapeur Lord Elgen, qui leur avait été expressément expédié par le gouvernement.
A neuf heures, le sénat a procédé à la formation de son bureau et a passé en séance secrète après avoir pris des dépêches du conseil des secrétaires d’état.
A trois heures et demie de l’après-midi, le sénat proclamait le général de division Soulouque, Président d’Haïti.
Jamais, dans aucune circonstance, la république ne s’est fait remarquer par tant de calme, d’ordre et de dignité que durant les trois jours de vacance de l’office de Président d’Haïti. Au milieu de l’affliction et des regrets dont tous les cœurs étaient saisis, chacun a attendu avec confiance les suffrages du sénat ; et dès que le choix de ce corps eut été proclamé, toutes les voix répétaient avec acclamation : Vive le Président d’Haïti ! Vive le Président Soulouque !
Une députation du sénat a été immédiatement chargée de transmettre au conseil des secrétaires d’état le décret qui élève le général de division Soulouque à la présidence d’Haïti.
Cette députation a été conduite dans la salle des délibérations du conseil où se trouvaient alors les secrétaires d’état et le nouveau président de la République auquel le président du sénat a adressé quelques paroles de félicitations : « Le choix du sénat, lui a-t-il dit, que, dans la circonstance actuelle, vous confie la première magistrature de l’état, repose sur la pureté de vos principes, la noblesse de votre caractère, les antécédents irréprochables de votre vie militaire et privée ; vous êtes témoin de la douleur et des regrets qui entourent les restes du chef auquel vous êtes appelé à succéder, vous ne pouvez avoir sous les yeux un meilleur exemple à imiter. »
Le Président d’Haïti a répondu avec une vive émotion :
Messieurs, vous accompli la volonté de l’être suprême ; sur ma foi chrétienne, d’homme d’honneur et de citoyen, je jure de ne jamais dévier des traces du Président J. B. Riché.
Le 2 mars, dès 7 heures su matin, un concours immense de citoyens, les commerçants nationaux et étrangers, s’étaient joints, au palais national, aux fonctionnaires civils et militaires, pour la célébration des funérailles du Président Riché.
A dix heurs, le char funèbre couvert d’une draperie de velours noir, à frange or, décoré des armes de la république, ayant en lettres d’or, sur chacun des côtés, les inscriptions suivantes : J. B. Riché – 1er mars 1846 – 27 février 1846. – 27 février 1847, a été conduit au milieu des deux haies de la garde à pied du gouvernement, par six chevaux blancs, caparaçonnés de velours noirs portant aussi les armes de la République.
Le convoi s’étant mis en marche dans l’ordre tracé par le programme, s’est dirigé de la rue du Gouvernement, à la rue Républicaine jusqu’à la rue des Fronts-Forts, par laquelle il s’est rendu à l’église paroissiale. Le char funèbre dételé, a été introduit près d’un majestueux cénotaphe dressé pour cette affligeante solennité.
L’office des morts a été célébré par les membres du clergé de la capitale et des paroisses voisines. Avant le Libera, le général de division C. Ardouin, secrétaire d’état de l’intérieur et de l’agriculture, a fait entendre, de la chaire évangélique, le discours suivant :
« Messieurs,
Je viens dire, en peu de mots, sur ce cercueil illustre, un eternel adieu avant que la terre le recouvre.
La douleur publique atteste assez de l’immensité de la perte que la république vient de faire. Je ne ferai point le récit de la longue et glorieuse carrière du général Jn. Bte. Riché ; je rappelerai seulement son court passage au premier pouvoir, plus pleins de véritables bienfaits et d’éminents services que n’en comptent des règnes plus longs.
Haïtiens, souvenons-nous, à la gloire éternelle du défunt, qu’il a tout récemment sauvé le pays en l’arrachant à de mortelles dissensions, qu’il lui a rendu la paix, la sécurité, l’ordre ; qu’il l’a doté d’institutions fortes et libérales, et qu’il a enfin cimenté cette œuvre immense de réparation par l’union et la concorde des enfants de la patrie. Et pour accomplir cette œuvre avec éclat et succès, il a fallu être l’élu de son peuple, c’est-à-dire, le citoyen le éminent en patriotisme, en courage et en capacité.
Sa prodigieuse activité n’a pas d’égale : c’est immédiatement après l’une de ces marches rapides et lointaines, la quatrième qu’il a entreprit en moins d’un an, que la mort le surpris.
Il a à peine fermé les yeux que nous pouvons apprécier ce que cet illustre patriote a fait de grand et d’à jamais mémorable. Il a remis le pays presque tout organisé à son successeur ; il a ouvert une voie large et sûre dans laquelle la politique nationale peut désormais marcher.
L’honorable sénat, présent à ces funérailles, avait pressenti les hautes destinées de cette courte présidence, en adressant au digne chef que nous pleurons ici, ces paroles si sages et si pleines d’espoir et de confiance : « Vous, fermerez, M. le Président, le gouffre des révolutions. » - Il l’a fermé.
Avant même d’aller confier ce précieux dépôt à la tombe ; ici même, rendons donc grâca à Dieu du salut de la République.
Après Dieu, c’est votre illustre et informtuné Riché ! »
L’office terminé, une salve de 17 coups de canon a été tirée au moment de la sortie du corps de l’église. Le cortège s’est rendu, par la rue du Réservoir, au monument où reposent les restes d’Alexandre Pierre ; le corps de J. B. Riché y a été religieusement déposé au milieu des prières et des larmes de l’assemblée et d’une salve de 17 coups de canon.
Le convoi s’est ensuite transporté au Fort Riché ; les derniers honneurs ont rendus au cœur et aux entrailles de ce chef illustre, et l’assemblée s’est dissoute dans le calme et le plus pieu ralliement.
Dans l’après-midi du même jour, le sénat a reçu le serment du nouveau Président de la République qui est entré dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont attribués par la constitution.